CHRONIQUE Musique
Un joyau français
par Hervé Pennven
En 2013 Éric Rouyer, patron d’une entreprise alors spécialisée dans quelques vins fins, le plaisir des papilles le plaisir des oreilles, en produisant des disques de musique classique, selon le même principe de ne choisir que l’excellence. Si le Palais des Dégustateurs est aujourd’hui connu, la sortie de son premier CD, PPD001, fut totalement ignorée par la presse spécialisée : un marchand de vin qui prétend faire des disques, mais de quoi se mêle-t-il ?
Ces critiques auraient pu au moins remarquer le nom des interprètes. Car il s’agissait de deux représentants de la fine fleur de la musique française et de la plus authentique musique de chambre : Gérard Poulet et Christian Ivaldi. Mais ces deux-là n’étaient-ils pas rangés des voitures ? Autre réflexe, sans doute, de jeunes loups de la critique musicale méprisant les papys. En effet tous deux étaient déjà largement septuagénaires, et tout près de se retirer. Mais n’est-ce pas l’occasion d’entendre ce qu’ils ont encore à dire, et comment ils peuvent encore le dire ? Or ce disque inconnu est un véritable joyau. Dès le premier mouvement de la Sonate de Ravel on est pris par cette parfaite exactitude stylistique, le mouvement chaloupé, la grâce, le chant du violon, la clarté cristalline du piano, l’autorité aussi dans les affirmations, la distillation du mystère. Le « blues » est ce qu’il doit être : non pas un essai d’imitation d’une mu- sique américaine, mais une élaboration, une
alchimie de musique française à partir du blues. Et le tournoiement du Perpetuum mobile montre s’il en était besoin que Gérard Poulet n’a rien perdu de sa virtuosité.
PDD001
Avec la Sonate de Debussy (qui fut créée au début de sa carrière par Gaston Poulet, le père de celui qui la joue ici à la fin de la sienne…) on monte encore de quelques degrés. Sans doute parce qu’il s’agit d’une quintessence de l’art de Claude de France, et que les interprètes, avec une incroyable palette sonore et expressive, en distillent toute la magie, avec cette alliance de liberté et de rigueur dont seuls les grands sont capables. Le finale est un éblouissement.
Entre les deux, la Sonate de Poulenc ne peut pré- tendre au même niveau, mais elle bénéficie de la même qualité de jeu, et ici de cette rigueur si nécessaire pour contenir de dangereux alanguissements… Il faut ajouter que la prise de son est (déjà) parfaite, et qu’on lit avec plaisir les notices originales d’Alain Meunier.
H.P.
La Nef n°338 Juillet-Août 2021
