Boris Berman
par Hervé Pennven
Né à Moscou en 1948, élève de Lev Oborine au Conservatoire Tchaïkovski, Boris Berman quitte l’URSS en 1973 pour Israël. Dès 1979 il émigre aux États-Unis, et depuis 1984 il enseigne le piano à Yale. Ce pédagogue hors pair, spécialiste de Prokofiev, est inconnu en France. Par quel mystère en est-il venu à enregistrer les Préludes de Debussy dans les anciens chais du Prince de Conti à Vosne-Romanée pour le discret Palais des dégustateurs ?
Ce qui importe est que cela ait eu lieu. Car cet enregistrement est nécessaire. Il y a chez Boris Berman un sens accompli de la mise en scène sonore, un engagement total de chaque instant, et une incroyable palette de nuances. Il suffit d’entendre les premières mesures du premier Prélude pour comprendre que l’on est là devant une très grande interprétation, qui chante la partition en toutes ses dimensions, dans une plénitude pianistique jamais démonstrative. On se dit que ces Préludes sont tellement variés, et avec une subtilité si française, qu’il ne peut pas être à un tel sommet tout le temps. Par exemple entre le pastel de La fille aux cheveux de lin et la guitare flamenco qui suit, il va être meilleur dans l’un que dans l’autre. Mais non. La fille a des cheveux de lin comme vous n’en avez jamais touchés, et la Sérénade interrompue est une quintessence de guitare flamenco. Et quand le chant est, demande Debussy, «!un peu suppliant!», c’est exactement ce que chante Berman. Voilà donc un double CD (avec en plus les Estampes, et d’autres pièces) paru en 2017, qui est désormais une perle fine de la discographie debussyste. Et voici que Boris Berman nous donne, chez le même éditeur, un autre double CD, où il interprète toutes les pièces pour piano de Brahms de l’opus 76 à l’opus 119. Et c’est de la même exceptionnelle qualité. Dans Debussy Berman donne l’illusion d’improviser, dans Brahms il fait montre d’une absolue maîtrise, en fait la même maîtrise, bien sûr, mais ici cela veut dire qu’il n’y aura aucun emballement pour faire «!romantique!». Une maîtrise souveraine de la ligne et du son, d’un certain «!classicisme!», si l’on veut, mais qui éclaire la partition, n’enlève rien aux rugissements du vieux Brahms mais fait entendre là aussi toutes les nuances. À un moment où je me disais : vraiment, quelle délicatesse… je regarde la partition et je vois : «!Delicatissime!»…
H.P.