Revue Générale Belge, Jean Lacroix

Revue Générale Belge numéro 3 Année 2025

CHRONIQUE

De la musique avant toute chose

Jean Lacroix

Raffinements, intimité et coups d’éclat

Le label français Le Palais des Dégustateurs, déjà évoqué longuement dans nos colonnes, poursuit sa réhabilitation, largement méritée, du chef argentin Carlos Païta (1932-2015) avec un sensationnel album consacré à deux Tchèques. Il regroupe les trois dernières symphonies d’Antonín Dvořák, et la rhapsodie pour orchestre Taras Bulba, de Leoš Janáček composée entre 1915 et 1918. Dans cette dernière, œuvre violente et grandiose à la fois (un orgue est inclus), Païta déchaîne une panoplie instrumentale qui souligne le drame de façon inexorable dans trois volets hauts en couleurs. Quant aux symphonies de Dvořák, elles dépassent le terroir tchèque pour acquérir une dimension universelle en termes de virtuosité dansante et de poésie envoûtante dans les Septième et Huitième, vraies références de la discographie, la Nouveau Monde se situant un peu en retrait en raison d’un Largo étiré, ce qui n’empêche pas ces enregistrements londoniens des années 1980 de briller de mille feux. Le label vient aussi de publier un éventail de vingt-cinq pièces pour piano d’Anatoli Liadov (1855-1914), qui fut un élève de Rimski-Korsakov. Le Français d’origine libanaise Billi Eidi, né en 1955, a sélectionné préludes, mazurkas, bagatelles, barcarolle et morceaux divers qui mettent en évidence des accents chopiniens ou schumanniens, mais aussi des miniatures qui célèbrent la Russie à travers des évocations fragiles, sensibles et subtiles. Un parcours attachant, teinté aussi de cette part d’orfèvrerie fantastique que l’on retrouve dans les délicieux poèmes symphoniques de Liadov, comme Kikimora ou Le lac enchanté. Et puis, cerise sur le gâteau, comment ne pas s’émerveiller devant la réédition d’un album de 1986, qui regroupe les quatuors K. 465 « Dissonance » de Mozart et n° 14 « La Jeune fille et la mort » de Schubert par le légendaire Fine Arts Quartet (Ralph Evans et Efim Boico, violons ; Jerry Horner, alto et Wolfgang Laufer, violoncelle) ? On partage l’avis de Stéphane Friédérich lorsqu’il écrit dans la notice que l’opulence et la brillance du jeu des Fine Arts demeurent sans égal. Un retour au catalogue à thésauriser, car saisir à ce point les enjeux lyriques et émotionnels des deux compositeurs n’est pas monnaie courante. Indispensable !