La direction d’orchestre donne parfois naissance à des personnalités hors normes. Dans les années 1980, le chef argentin Carlos Païta avait réalisé quelques gravures des grandes pages du répertoire romantique (Berlioz, Bruckner, Mahler, Verdi notamment) marquées par un sens du spectaculaire assez ébouriffant. On est heureux de le retrouver dans deux huitièmes symphonies, celle de Bruckner déjà connue, et celle de de Chostakovitch issue d’un concert inédit.
Né en 1932 à Buenos Aires, Carlos Païta fit ses études de direction d’orchestre auprès d’Artur Rodziński et fut selon ses propres déclarations très marqué par des répétitions de Furtwängler venu diriger au théâtre Colon. Dans les années 1980, il réalisa des enregistrements très remarqués pour Decca puis son propre label Lodia, d’abord avec des orchestres londoniens constitués puis avec un ensemble réuni pour lui sous le nom de Philharmonic Symphony Orchestra. Il est mort en 2015. Ses gravures témoignent de la rencontre entre un répertoire centré sur les grandes pages du romantisme le plus flamboyant, des prises de son très spectaculaires comme Decca s’en était fait une spécialité et un style de direction à nul autre pareil.
On retrouve toutes ces caractéristiques dans la Symphonie n° 8 de Bruckner gravée en 1982. Païta, qui choisit l’édition Haas de la version définitive, accentue les contrastes à un point extrême. Les timbales exécutent de fracassantes déflagrations, les cuivres ont des entrées écrasantes, les tempos absorbent un rubato aux limites du raisonnable. Si Païta ne retouche pas le texte lui-même, il modifie tellement les équilibres entre les pupitres qu’on ressort abasourdi de cette lecture ultra théâtrale et cataclysmique. Rien en fait ne rappelle Furtwängler dans cette conception certes impressionnante et néanmoins très émouvante dans l’immense adagio mais qui ne ressemble à aucune autre dans la discographie. L’orchestre ne peut au demeurant pas rivaliser avec les grandes phalanges familières de ce répertoire (Amsterdam, Berlin et Vienne évidemment).
En complément, l’éditeur a exhumé un concert où les mêmes interprètes appliquent un traitement comparable à la Symphonie n° 8 de Chostakovitch (1943). Là encore, Païta s’écarte du reste de la discographie ; ni vision implacablement soviétique de cette sombre page de guerre, comme Mravinsky en demeure le modèle, ni lecture occidentale et décantée comme celle, inaccessible par sa perfection hautaine, de Haitink à Amsterdam (Decca). Reste cependant comme pour Bruckner un voyage sonore très impressionnant et qui laisse l’auditeur sous le choc. Les amateurs de sensations fortes orchestrales seront comblées. Saluons l’hommage à la mémoire d’un maestro singulier en espérant que Le Palais des dégustateurs saura nous rendre les autres gravures d’origine Lodia ou Decca qui firent en leur temps la réputation de Carlos Païta.
Dmitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie n°8 opus 65. Anton Bruckner (1824-1896) : Symphonie n°8 (édition Haas). Philharmonic Symphony Orchestra, Carlos Païta. 1 coffret de 2 CD Le Palais des Dégustateurs. Enregistrés en 1981 (Chostakovitch) et mai 1982 (Bruckner) au Kingsway Hall, Londres. Notice de présentation en français et en anglais. Durée : 120:11 |