Le violoniste Gérard Poulet et le pianiste Jean-Claude Vanden Eynden nous emmènent dans un voyage musical aux multiples saveurs associant Albéric Magnard et César Franck.
« Le Palais des Dégustateurs » : un nom intrigant pour un label discographique ? Pas tant que cela : en bon épicurien, son producteur Éric Rouyer, à la fois caviste et mélomane averti, a décidé un jour d’associer son métier au plaisir musical en organisant « de concert » ce qu’il appelle joliment des « vinosités musicales », avec le soutien de maisons et domaines réputés de Bourgogne,qui consistent en récitals ou musique de chambre auxquels sont conviés des artistes tels que Christian Ivaldi, Robert Levin, Dominique Merlet, Alain Meunier, Jacques Rouvier.
Mais Éric Rouyer a aussi une autre passion de longue date, celle d’Albéric Magnard et sa musique ; aussi s’est-il allié à Pierre Carrive, Président de l’Association Albéric Magnard, pour produire le disque sous rubrique qui est un véritable enchantement. Pour cela, appel a été fait à deux merveilleux musiciens, et le caractère franco-belge des deux compositeurs (Magnard et Franck) trouve son équivalent dans les interprètes : Gérard Poulet au violon, et Jean-Claude Vanden Eynden au piano. Le premier, à qui nous devons tant de superbes interprétations, notamment de Fauré, Bartók, Stravinsky en compagnie du pianiste Noël Lee chez Arion, est né d’un père (Gaston Poulet) et d’une mère (Jane Evrard) chefs d’orchestre ; le second, merveilleux chambriste, reste à ce jour le Belge le mieux classé (3e, en 1964) aux sessions piano du Concours International Reine Élisabeth.
Réunir en un disque ces deux admirables musiciens dans un programme combinant César Franck et Albéric Magnard allait de soi (Augustin Dumay et Jean-Philippe Collard avaient déjà adopté ce couplage), et bien que l’on ait souvent dit de Magnard qu’il appartient à l’école franckiste, il est évident que la personnalité absolument différente et caractérisée de Magnard par rapport à celle de Franck, tout comme d’ailleurs celles d’Ernest Chausson, Vincent d’Indy, Gabriel Pierné ou Déodat de Séverac, ne reposait que sur quelques affinités générales : Pierre Carrive, dans ses notes substantielles, nous guide avec grande sensibilité dans leurs vies respectives.
Si l’on ne compte plus les enregistrements de la Sonate pour violon et piano en la majeur de Franck, la Sonate pour violon et piano en sol majeur op. 13 de Magnard est bien plus rare tant au disque qu’au concert, et il faut savoir gré au violoniste canadien Hyman Bress et au pianiste français Olivier Alain de l’avoir gravée en tout premier, grâce à la ténacité de passionnés tels que Pierre Gorlé, directeur des anciennes productions discographiques belges Alpha, le disquaire Thierry Grisar et le regretté musicologue Harry Halbreich, coauteur avec Simon-Pierre Perret du remarquable ouvrage sur le compositeur aux éditions Fayard.
Ces deux sonates sont redoutables d’exécution, tant par leurs exigences techniques qu’expressives, leur poésie intérieure et leur lyrisme, leur inspiration au souffle large et généreux, leur pudeur et leurs élans. En particulier, la partie de piano de la Sonate pour violon et piano de Magnard aspire à la richesse orchestrale. On admirera ici la parfaite homogénéité qui règne entre les deux partenaires, ainsi que la beauté du jeu de chacun, dans le plus pur esprit de musique de chambre, où chez Magnard notamment, on perçoit tour à tour, de manière très révélatrice et caractéristique, virilité du lyrisme et tendresse ardente sous une pudeur farouche. Avec ce genre d’interprétation, on a le sentiment très exaltant d’être proche de l’idéal, de la perfection.
Michel Tibbaut