Resmusica : Le Quatuor Béla s’impose dans les quatuors de Debussy et d’Albéric Magnard

En l’associant au célèbre Quatuor de Debussy, l’excellent Quatuor Béla a eu la main heureuse pour enregistrer le Quatuor de Magnard, deux compositeurs français presque exactement contemporains ! 

Aussi différentes soient ces deux partitions, elles n’en représentent pas moins deux aspects complémentaires du style français au tournant du XXᵉ siècle, la naissance de l’impressionnisme musical avec Debussy, la quête du grand style post-beethovénien avec Magnard. Autant le Quatuor de Debussy (1893) figure parmi les pages de musique de chambre les plus populaires de cette fin du XIXᵉ siècle, autant le vaste Quatuor de Magnard (1904) demeure un monument intimidant de plus de quarante minutes auquel peu d’interprètes ont osé se mesurer. On ne peut donc que féliciter le Quatuor Béla, d’autant que le résultat est remarquable.

Pour Debussy, le choix d’une lecture franche et nette, aux arêtes vives, plus lumineuse qu’ombrée, donne un éclairage inhabituel sur l’œuvre dont on admire d’autant plus la perfection d’écriture que tous les détails sont sculptés avec précision.

Mais c’est surtout le vaste et unique Quatuor de Magnard qui fascine. L’œuvre, secrète et plutôt austère figure parmi les chefs-d’œuvre du compositeur à côté de sa Sonate pour violon, de ses deux dernières symphonies et du grandiose opéra Guercoeur. L’écriture très rude, voire agressive, n’est pas sans annoncer par sa vigueur rythmique Roussel, tandis que l’élévation spirituelle du propos, notamment dans l’émouvant « chant funèbre » qui fait office de mouvement lent se situe dans la descendance assumée du dernier Beethoven. La discographie de cette page essentielle est indigne de ce chef-d’œuvre. On en peut que saluer les qualités du Quatuor Béla, dont le goût manifeste pour la clarté et la netteté sied idéalement à cette musique aux angles vifs et tranchants. Superbe album, dont on ne peut, une fois encore, qu’espérer qu’il contribuera à la réévaluation de l’œuvre d’Albéric Magnard qui fut aux côtés de d’Indy et de Ropartz, l’une des plus hautes figures de la musique française au tournant du XXᵉ siècle.

Claude Debussy (1862-1918) : Quatuor à cordes en sol mineur op. 10. Alberic Magnard (1865-1914) : Quatuor à cordes en mi mineur op. 16. Quatuor Béla. 1 CD Le Palais des Dégustateurs. Enregistré du 22 au 24 avril 2019 au couvent des jacobins de Beaune. Notice bilingue (français, anglais). Durée : 67:52