Pizzicato : L’Apocalypse selon Saint-Jean de Jean Françaix

L’Oratorio Fantastique de Jean Françaix

02/11/2025
Jean Françaix : L’Apocalypse à Saint-Jean (1939) ; Tatiana Probst, soprano, Daïa Durimel, alto, Patrick Garayt, ténor, Chœur français d’oratorio, Chœurs Elisabeth Brasseur, Chœur de Cernay la Ville, Choristes de Rambouillet, Guyancourt, Croissy, Orgeval, Paris, Orchestre français d’oratorio, Jean-Pierre Lo Ré ; # Le Palais des Dégustateurs PDD044 : Enregistrement public 05.2024, sortie 02.11.2025 (65’30)
Critique de Remy Franck

Vers la fin de sa vie, Jean Françaix (1912-1997) considérait son unique oratorio, L’Apocalypse selon Saint-Jean, comme son chef-d’œuvre, synthétisant l’ensemble de son œuvre, bien qu’il l’eût composé à l’âge de 27 ans !

Composé en 1939 et créé à Paris en 1942, cet oratorio fantastique se distingue par son orchestration imposante pour deux orchestres. Le second orchestre est censé représenter les forces de l’Enfer.

L’œuvre est basée sur un texte adapté par le compositeur. L’histoire s’inspire du dernier épisode de l’Apocalypse, tiré des écrits de saint Jean dans le Nouveau Testament. Composée à la veille de la Seconde Guerre mondiale, cette œuvre témoigne de la volonté de Françaix d’exprimer des profondeurs dramatiques et des thèmes spirituels, s’éloignant ainsi de sa musique souvent légère.

Si aujourd’hui le mot « apocalypse » est surtout employé comme synonyme de fin du monde ou de terrible catastrophe, Françaix l’utilise dans son sens originel, où il signifie littéralement « révélation » ou « dévoilement », c’est-à-dire la révélation d’un secret, souvent transmise par une vision ou un rêve.

Cette dimension visionnaire est une caractéristique essentielle de la sublime composition de Jean Françaix et se révèle pleinement dans l’interprétation enregistrée à l’église de la Trinité à Paris.

Jean-Pierre Lo Ré a dirigé cet oratorio à plusieurs reprises et parvient à lui insuffler toute sa véritable nature et sa grandeur sans en négliger la sensualité. Il transmet la puissante splendeur de la musique avec émotion et une juste dose de pathétique.

La musique, tantôt spirituelle, tantôt d’une expressivité dramatique, est interprétée avec intensité et conviction par les musiciens réunis à la Trinité.

L’enregistrement restitue parfaitement l’acoustique de l’église, et l’on ne peut que constater que l’ambitieux projet d’enregistrer l’oratorio a été une réussite.

En bonus, cet album comprend le Concerto pour piano, une œuvre brève de 14 minutes, interprétée par le compositeur lui-même, accompagné par l’Orchestre symphonique de la Radio française sous la direction de Georges Prêtre. Après l’oratorio, cette pièce arrive comme une bouffée d’air frais, délicate et élégante, brillante et vibrante, avec une pointe d’humour, voire d’ironie, et une pointe de mélancolie dans le mouvement lent.

Jacques Françaix : « L’Apocalypse suffit à placer mon père parmi les plus grands compositeurs »

Georges Prêtre

 

02/11/2025
Le Palais des Dégustateurs publie un enregistrement de L’Apocalypse selon saint Jean de Jean Françaix, œuvre immense, grande fresque spirituelle, dans une interprétation inspirée du chef d’orchestre Jean-Pierre Lo Ré.
À cette occasion, Rémy Franck s’est entretenu avec Jacques Françaix, fils du compositeur, qui se consacre à la gestion de l’héritage musical de son père, notamment par la création d’un site web (www.jeanfrancaix.com).

Jean Françaix

Où voyez-vous votre père dans le monde musical d’aujourd’hui ?

J’ai constaté, avec un étonnement quelque peu attristé, que le nom de mon père, dans la presse musicale française, n’est pratiquement jamais cité parmi les compositeurs français du 20e siècle qui comptent.

Il était pourtant le compositeur français vivant le plus joué dans le monde et, si j’en juge par les retours que j’ai de ses éditeurs et de la Sacem, l’importance de la programmation de ses œuvres dans le monde n’a pas diminué depuis.

Plusieurs de ses œuvres sont même devenues des classiques du répertoire, constamment jouées dans beaucoup de pays, comme le Concerto pour Clarinette, le Trio à cordes, l’Horloge de Flore, le Quintette à vents No1 et plusieurs autres.

 Si le nom de Jean Françaix est moins connu aujourd’hui, il était un des  compositeurs les plus joués de son vivant. Comment expliquez-vous ce changement d’attitude des interprètes et du public ?

Contrairement à ce que votre question laisse entendre, les interprètes jouent sa musique de chambre dans de nombreux pays, y compris les pays asiatiques, particulièrement  la Corée du sud, le Japon et la Chine,

Mais sa musique orchestrale ou lyrique, celle qui fait la notoriété auprès du public, a effectivement disparu des programmes, d’où la méconnaissance qu’en a ce public.

La programmation de ces genres de musiques dépend essentiellement des initiatives des institutions musicales importantes telles que les grands orchestres et les grandes scènes lyriques.

Ce sont sans doute ces institutions qui pourraient le mieux répondre à votre question.   

Et pourquoi les Allemands ont été plus favorables que les Français ?

L’éditeur principal de sa musique, Schott, est allemand, explication qui vient en premier à l’esprit.

A ce propos, il faut savoir que cet éditeur a su voir avant d’autres ce que promettaient les premières œuvres de mon père.

Ce dernier n’avait, par deux fois, pas donné suite aux propositions de cet éditeur, ce qui était particulièrement méritoire puisqu’il n’avait que 20 ans, en préférant attendre, vainement, celles de son pays.

Schott ne mentionne aucune représentation entre mai et novembre. Que faudrait-il faire pour accroître le nombre de représentations ?

A ce jour, le calendrier Schott des concerts s’arrête au 22 Juin, mais cela ne préjuge pas des programmations suivantes.

Vous serez sans doute surpris d’apprendre qu’en 2012, année du centenaire de sa naissance, nous avons répertorié, uniquement sur Internet, plus de 600 concerts dans le monde comportant une ou plusieurs de ses œuvres.

 On a dit que la musique de Jean Françaix est délicieuse et profondément française ou encore douce et urbaine. Quelle est pour vous la caractéristique la plus dominante de sa musique ?

Je reprendrais les mots prononcés par le compositeur Pierre Petit lors de la remise au compositeur du Grand Prix SACD en 1983.

« La grâce et l’humour, la clarté et la pudeur, la tendresse et l’intelligence, tout cela se retrouvait, bien avant la dernière guerre, dans des œuvres qui constituaient déjà le plus exact et le plus flatteur des portraits que nous puissions souhaiter de notre propre héritage ».

S’il fallait ne retenir qu’un seul mot je retiendrai à nouveau celui de Pierre Petit en conclusion de son hommage.

« C’est cela, une musique heureuse : c’est cela, le secret du bonheur que nous dispense à chaque instant la musique de Jean Françaix ».

Roland-Manuel a dit que votre père se sentait à l’aise dans son temps tout en ne suivant pas les modernistes, auxquels Roland-Manuel reprochait de poursuivre l’impossible à travers l’inutile. Est-ce peut-être justement ce caractère aisé et « délicieux » qui écarte la musique de Jean Françaix des programmes, parce que les interprètes et ceux qui font les programmes ont peur de se voir reprocher un certain anachronisme ?

Lors d’un tout récent concert auquel j’ai assisté, on jouait une œuvre orchestrale de mon père, « l’Ouverture anacréontique ». Œuvre au titre « anachronique » s’il en est !

Véritable évènement que ce concert, au vu de mes propos précédents, puisque inédit en France depuis plusieurs dizaines d’années.

Aux questions que le chef d’orchestre posa au public après l’exécution de l’œuvre, celui-ci répondit qu’il ne connaissait pas le nom du compositeur, mais c’est un oui, réconfortant par son unanimité, qu’il a exprimé à la question de savoir s’il avait aimé cette musique.

Si anachronisme il y a, cela ne semble donc pas avoir choqué le public, et ce ne peut être qu’une qualité au regard de l’époque particulièrement chaotique et violente qui est la nôtre.

Votre père, dit-on considérait l’Apocalypse comme sa meilleure œuvre. Partagez‑vous cette opinion ? Et quelle est pour vous, l’œuvre à laquelle vous tenez le plus ?

Je partage cette opinion et c’est l’œuvre qui me fait la plus forte impression. Je dirais même que, s’il n’avait composé que cette œuvre, cela suffirait à le ranger parmi les grands compositeurs.

Le sous-titre est « oratorio fantastique ». Pouvez-vous nous expliquer le mot fantastique dans ce contexte ?

A vrai dire je n’ai jamais pensé à lui poser la question et, à ma connaissance, il ne s’est pas exprimé sur ce terme, que je ne peux en conséquence vous expliquer, sinon par l’impression qu’on en retire en l’écoutant !

Quelle est pour vous la signification de l’enregistrement pour le patrimoine culturel de la France ?

Il est bien sûr primordial en tant qu’outil irremplaçable pour faire connaître directement l’œuvre à un public le plus large possible.

Il est d’autant plus important qu’en l’absence de projets de la part de structures publiques, cet enregistrement n’aurait pu être réalisé sans les initiatives privées de Jean-Pierre Lo Ré et Eric Rouyer, avec les lourds investissements que cela suppose. Ce dont je ne saurais assez les remercier.

L’enregistrement a bien été fait à la Trinité ?

Oui, avec des moyens techniques impressionnants !