Musicologie.org : Jean-Claude Vanden Eynden / Schubert


Sonate et impromptus de Franz Schubert par Jean-Claude Vanden Eynden

Franz Schubert, Quatre impromptus D. 899, sonate en si bémol majeur D. 960, Jean-Claude Vanden Heynde (piano). La Palais des Dégustateurs 2016 (PDD 009).
Enregistré les 9 et 10 décembre 2015, Domaine des étangs, Massignac.

30 août 2017, par Jean-Marc Warszawski

Franz Schubert a composé deux séries de quatre impromptus en 1827, l’année de la mort de Ludwig van Beethoven, qu’il rejoindra vingt mois plus tard. Ce titre « Impromptu », trouvé par le compositeur et éditeur Tobias Haslinger semble avoir eu l’agrément du compositeur. Jan Václav Hugo Voříšek (1795-1827) avait déjà publié 6 pièces sous ce titre en 1816-1820, qui évoque une certaine liberté formelle, une prise de distance avec les conventions du classicisme, comme la « fantaisie », « nocturnes », ou autre « romance sans paroles », en y ajoutant l’idée d’improvisation, ce qui est loin d’être le cas de ces impromptus.
L’éditeur semble avoir visé le bon créneau d’une clientèle amateur, il a même transposé le quatrième impromptu de la tonalité de sol bémol majeur à celle de sol majeur, pour éviter le mauvais effet des six bémols de l’armure et l’appréhension d’une lecture difficile, mais ne rendant pas ainsi la pièce plus aisée à jouer. En fait, ces impromptus, notamment le second, n’évitent pas la virtuosité digitale, et nécessitent tout  du long une technique accomplie pour maintenir de bons équilibres sonores.
Franz Schubert a composé sa 21e sonate deux mois avant la mort, conclusion d’une maladie implacable. On considère cette œuvre comme un testament musical. Elle est un des fleurons des chefs-d’œuvre que Schubert réalisa, alors qu’il savait proche l’issue à ses souffrances, dont il semble faire entendre la douleur dans le bouleversant second mouvement andante.
C’est un fort beau programme, par sa variété et la cohérence stylistique des impromptus entre eux, dont on retrouve de belles réminiscences dans la sonate.
Nous avons parfois l’image d’un Schubert menant bonne vie entre tavernes, schubertiades, salons amicaux. Il est malheureusement atteint de la syphilis, la maladie des débauchés. En fait, il est le premier grand compositeur germanique à avoir franchi la porte enfoncée par Beethoven, il a empierré les premières routes du romantisme — passant par les salons bourgeois, la modernité. Sa musique lumineuse semble peu autobiographique, bien qu’efficacement descriptive, souvent touchante, émouvante, vraie, naturelle. Le romantisme n’est pas l’excès, l’emportement, le sentimentalisme. C’est l’ancrage local, territorial, un rapprochement des humains, un déplacement de l’art « savant » depuis les cours aristocratiques ou les grands centres religieux, vers des milieux plus populaires. D’où une expression sentimentale semblant excessive, comparée à l’affectation aristocratique.  Après les merveilles italianisantes des classiques viennois, Schubert germanise, puise dans la poésie avec un tel bonheur qu’on ne traduit plus le mot « Lied », qui semble désigner autre chose que « romance » ou « mélodie », introduit des idiomes rythmiques et mélodiques populaires.  Peut-être compose-t-il des poèmes musicaux. Schumann, Mendelssohn, lui emboîteront le pas. Certes, le chromatisme de Liszt, Chopin, Wagner est encore loin, mais il risque des modulations abruptes, sans grande préparation, esquissées par Beethoven, des ambiguïtés entre modes majeur et mineur, des batteries d’accords encore inusités parfois du « voicing » avant l’heure. Peu autobiographique, tournée vers l’auditeur, la musique de Franz Schubert est magistrale dans ses évocations et mises en scène.
Vainqueur du Concours Reine Élisabeth à l’âge de seize ans, Jean-Claude Vanden Eynden a, au long d’une déjà longue carrière, honoré cette prestigieuse reconnaissance, comme concertiste international, sommité nationale, chambriste recherché, professeur apprécié. Son calme, sa digitalité et sa frappe parfaitement maîtrisées, égales, souples, conviennent parfaitement bien à cette musique aux équilibres sonores délicats, y compris dans les contrastes, où les dynamiques jouent un grand rôle. Tout est clair, y compris dans les lourds accords annonçant Schumann, aucun brouillage entre détails et ligne générale, ni emphase, ni véhémence,  ni langueur, excessives ou digressives, des pianissimos rares au disque. Un jeu qui ne remplissant pas tout l’espace, laisse résonner le silence et les sentiments. Une conception convaincante.