Johannes BRAHMS (1833-1897) : Klavierstücke Op.76 ; Huit pièces pour piano Op. 79 ; Deux Rhapsodies Op.116, ; Sept pièces pour piano Op. 117 ; Trois Intermezzi Op. 118 ; Six pièces pour piano Op. 119 ; Quatre pièces pour piano. Boris Berman, piano 2018. Livret en français et anglais. 100′ 48 » Livret. 2 CD Le Palais des Dégustateurs PDD018
Boris Berman ne partage pas beaucoup plus que son nom et son métier avec son compatriote, l’archiconnu Lazar. Du reste, on peut parler d’école russe oui, mais… il serait difficile de trouver des personnalités plus diamétralement éloignées que ces deux grands artistes. Là où l’on trouve fougue, feux d’artifice, passion ou exhibition de virtuosité chez Lazar, Boris nous offre réflexion, élégance et profondeur de pensée. Il n’est pas de ces artistes que séduisent de prime abord. Pourtant, il gagne à être écouté dans la longueur, le calme, et l’introspection à laquelle nous convient ces jours de confinement. Déjà sa trajectoire est peu habituelle pour un virtuose russe : études avec Lev Oborin (par ailleurs maître de Youri Egorov ou d’Ekaterina Novitzkaïa, pour ne citer que des noms bien connus en Belgique), mais aussi des études de clavecin et une activité soutenue en faveur de la musique contemporaine. Denisov, Schnittke, Ligeti ou Stockhausen, on trouve en lui un fervent défenseur et souvent un premier divulgateur en Russie. Il développe aussi une grande activité de pédagogue et de chambriste : de nombreux grands artistes ont eu le privilège de l’avoir pour partenaire et il prodigue ses conseils à des étudiants un peu partout dans notre vaste monde. Sa maîtrise du clavier est absolue, tant pour la limpidité de l’exécution que pour la maîtrise de la sonorité, avec un sens du legato si parfait qu’il nous fait complètement oublier l’évanescence naturelle du son de l’instrument. Et il faut le remercier de son usage transparent et limpide la pédale qui peut évoquer, à travers le Steinway utilisé ici, la légèreté du piano Streicher de Brahms.
Son approche de ce compositeur est sobre, il évite de se complaire dans le pathos ou la grandiloquence. Cela n’implique certainement pas de la froideur : le fait de réfléchir à chaque détail du phrasé et de veiller à l’équilibre l’architectural des œuvres ne l’empêchent pas d’être expressif et chaleureux à souhait. Tel un metteur en scène, Berman nous offre une gradation subtile dans le paysage sentimental depuis cet Unruhig bewegt, ce mouvement d’inquiétude du Capriccio en Fa dièse op. 76 né de la rencontre tourmentée avec Clara Schumann, en passant par les réminiscences viennoises du Capriccio en Si Majeur ou de l’Intermezzo nº 3 de ce même opus, pour aboutir à un fabuleux Op. 119, miraculeux d’extase dans l’Intermezzo en Si mineur ou atteignant l’apothéose dans la Rapsodie en Mi bémol qui marque la fin du CD et de l’oeuvre pianistique de Brahms. Robert Schumann avait dit à propos de Brahms : « dès qu’il s’assoit au piano, il nous entraîne en de merveilleuses régions, nous faisant pénétrer avec lui dans le monde de l’idéal. » Impossible de mieux définir la version de Boris Berman !
On peut juste regretter, dans la prise de son, un certain manque de transparence dans le médium du piano qui nuit parfois à la clarté et au relief des éléments mélodiques et de leurs contours, alors que les registres extrêmes sont bien rendus. Excellent livret en anglais/français avec un article très érudit signé Paul Berry.
Xavier Rivera