Dmitri Chostakovitch : Symphonie n°8 op.65 ; Anton Bruckner : Symphonie n° 8 ; Orchestre Symphonique Philharmonique, Carlos Paita; # Le Palais des Dégustateurs PDD036 ; Enregistrements 1981 & 1982, sortie 02.2024 (56’20 + 73’34) – critique de Rémy Franck
Né à Buenos Aires en 1932, le chef d’orchestre Carlos Païta est aujourd’hui presque oublié, et de son vivant – il est décédé en 2015 – il n’était connu que des initiés. Il trouvait l’enseignement au conservatoire trop restrictif et borné. Il étudie la direction d’orchestre avec Artur Rodzinski puis suit sa propre voie, s’éloignant du courant dominant de la musique classique. Il fonde son propre orchestre, le Philharmonic Symphony Orchestra de Londres, et enregistre principalement pour son propre label, Lodia.
Le Palais des Dégustateurs propose aujourd’hui l’enregistrement live inédit de la Huitième de Chostakovitch de 1981, ainsi que de la Huitième de Bruckner, auparavant disponibles sur Lodia.
Au milieu des trois symphonies de guerre de Chostakovitch, les émotions sont véhiculées à travers des images, images que Chostakovitch met en son comme une bande originale de film dont il suffit d’imaginer l’action. Païta aide l’auditeur avec un énorme pouvoir de suggestion. Il le fait d’une manière très sérieuse et musicalement sophistiquée, sans aucun gadget, mais avec une intensité captivante. L’Orchestre Symphonique Philharmonique livre une magnifique prestation.
L’enregistrement incontestablement excellent de la Huitième de Chostakovitch se tient toujours dans l’ombre de la Huitième de Bruckner. Dès les premières mesures de cet enregistrement toujours passionnant et de premier ordre de 1982, on sent que la Philharmonie ne se contente pas de jouer, mais qu’elle est dirigée par une main forte. L’énergie que Carlos Païta apporte à la symphonie est phénoménale.
Nouvelles couleurs, nouveaux accents, nouveaux contrastes, animés d’une spontanéité insolite qui évite toute solennité, tout pathétique, tout caractère mystifiant. Dans le Scherzo puissant et toniquement aiguisé, avec son trio pastoral mais nullement rustique, Païta élabore très bien les contours rythmiques et différencie la musique tant en termes de couleurs tonales que de valeurs tonales et de différences dynamiques. L’Adagio, aussi profond que puissamment vital, présente un développement de tension exemplaire et une maîtrise de la dynamique toujours saisissante. Il y a beaucoup de sens à un tempo très modéré. Nulle part la musique ne sombre dans la léthargie ; il est toujours animé de manière dynamique.
La finale de la Huitième est la dernière de Bruckner. Il n’en a pas écrit pour le Neuvième. L’avait-il anticipé en concentrant ici toute son énergie, en juxtaposant la puissance du premier thème à un choral sublime et en composant une véritable apothéose à partir d’une variété de motifs, que Carlos Païta rend passionnants et dramatiques, parfois même explosifs ? Mais cela ne conduit pas à une interprétation rapide et superficielle, bien au contraire. Ce final est excellemment structuré, très cohérent et convaincant par sa dramaturgie captivante.
En somme, un excellent hommage à un grand chef d’orchestre qui mérite qu’on se souvienne de lui.