Passion Musique et Culture : Chronique CD : Ropartz et Magnard

Une publication du critique québécois Guy Sauvé

Chronique CD : Ropartz et Magnard
Guy Ropartz (1864-1955) : Sonate violoncelle et piano no. 2 (La mineur, 1919)
Albéric Magnard (1865-1914): Sonate violoncelle et piano, op. 20 (La majeur, 1911)
Alain Meunier, violoncelle
Anne le Bozec, piano
Label : Le Palais des Dégustateurs PDD 029
Enregistrement : Juin 2021
Durée : 50 min.
Livret : 16 pages (Français, anglais)

PDD029« Imaginez une montagne dont les escarpements surgissent devant les voyageurs ; mais tout auprès se trouve une plaine dont la beauté séduit et charme d’autant plus que l’escalade et la descente viennent d’être plus rudes. » (Boccace. Le Décaméron)

Je ne connais pas de meilleure introduction pour préparer les mélomanes à l’appréciation des deux sonates dont il sera question ici.
Que le lecteur soit donc prévenu qu’il s’agit de musiques costaudes, exigeantes, sans concession pour flatter les expectatives. Le discours est dense mais tellement riche d’harmonies, de textures pianistiques tantôt chatoyantes, tantôt sombres, souvent virtuoses. Chaque instrument arbore une forte personnalité.
En revanche, on obtient une réelle satisfaction d’une audition attentive, bien dosée si l’on n’est pas habitué à une esthétique où ces deux compositeurs se caractérisent par leur indépendance du fait que « leur éloignement assumé des mondanités et leur mépris à l’égard des titres les préserva de la versatilité du goût parisien, d’une critique avide d’inouï, subjuguée par les faiseurs de célébrités » (Stéphane Friédérich).
Au disque, il existe certes quelques versions nées d’une intention tout à fait louable mais qui sont devenues des items d’occasion (du moins en Amérique). Je salue donc la parution la plus récente de ces deux sonates chez le label français Le Palais des Dégustateurs à plus forte raison qu’il s’agit d’un couplage inédit et tout à fait pertinent. Il faut savoir que Ropartz et Magnard étaient de très bons amis, nés en juin à un an de différence, deux étudiants de droit qui ont préféré faire carrière en musique.
La sonate de Magnard est un chef-d’œuvre. Écrite en même temps que sa quatrième symphonie, on imagine aisément combien la verve créatrice du compositeur s’interpénétrait dans les deux œuvres de manière concomitante. La sonate possède tellement de richesses texturales comme je le disais plus haut que ses quatre mouvements auraient pu être orchestrés. Pour un(e) pianiste, cela représente un défi considérable : Anne le Bozec est formidable d’assurance et d’énergie.
Pour un(e) violoncelliste, le défi est de s’affirmer avec aisance dans cet océan sonore mais, du haut de sa longue carrière, Alain Meunier ne manque pas moins de panache que sa partenaire et respire pleinement à chacun des « escarpements » de cette partition fascinante.
De l’aveu même de son producteur : « La sonate de Magnard a nécessité un long travail de répétition, plus d’une année, afin de pouvoir trouver le seuil au-delà duquel la musique coulait naturellement des instruments [et] en ayant assimilé toutes ses intentions et ses mystères. »
La sonate de Ropartz n’est même pas mentionnée dans Le Guide la musique de chambre (Fayard 1989). Elle nous entraîne dans divers sillons qui nous laissent désemparés au premier contact; n’écoutez pas en voulant y trouver du Debussy par-ci, ou du Fauré par-là, ou un quelconque post-romantisme : ce sont des présupposés qui vous distrairont en vain.
Sur le plan de la forme, il ne faut pas y chercher à tout prix des repères familiers comme le retour à un thème récurrent ; même dans la partie « Assez animé » du dernier mouvement évoquant une danse bretonne, il s’agit d’un folklore stylisé.
Il faut plutôt s’abandonner à une verve poétique déconcertante au premier abord mais qui vous donnera une vraie prise sur un créateur original et authentiquement indépendant.
Guy Sauvé
Mars 2024
Publication originale (cliquez ci-dessous) :

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