La Nef : Alain Meunier par Hervé Pennven

Rares sont sans doute les mélomanes qui connaissent le violoncelliste Alain Meunier, à la carrière surtout de pédagogue. Voici qu’il propose sa vision des six Suites de Bach, dans un double CD édité par… «Le Palais des dégustateurs». Ce nom est celui d’un caviste de Grenoble, qui joue les mécènes. Quand on voit les musiciens qu’il invite, on se dit que ses vins doivent être exceptionnels. Car c’est la quintessence même de l’interprétation musicale: Dominique Merlet, Christian Ivaldi, Gérard Poulet… Quiconque a déjà entendu ces trésors vivants, comme on dirait au Japon,sait ce que je veux dire.Voici donc Alain Meunier. Enregistré dans… l’ancienne cuverie du prince de Conti, à Vosne-Romanée…Un double CD dans un emballage élégant, comme il se doit, avec un livret qui donne une intéressante interview du violoncelliste. Alain Meunier présente les Suites dans un ordre insolite: 4, 6, 2, 3, 5, 1. Cela pour suivre la théorie d’un violoncelliste italien qui prétend voir ainsi dans les Suites «le parcours de la foi que l’homme Jésus,fils de Marie, par le dogme de LaTrinité et de son élection messianique de Christ, atteint Dieu». C’est évidemment irrecevable autant pour un luthérien que pour un catholique. Bach aurait bondi face à une telle négation de la réalité de l’Incarnation. Dans le n°104 de La Nef,j’avais suggéré comment, sans changer l’ordre des Suites, les nombres symbolisent les principaux dogmes du christianisme. Et, musicalement ce n’est pas plus recevable, car, comme le dit Alain Meunier lui-même, il ya une progression dans les Suites.Mais oublions cela. L’interprétation d’Alain Meunier est une merveille. Dans le texte de présentation il insiste sur l’importance du témoignage de Pablo Casals. Le fait est qu’il s’inscrit dans le sillage de Casals, tout en étant fort différent – forcément, puisqu’il est impossible d’imiter Casals et que ce n’est pas son propos. De Casals il a gardé l’importance d’insuffler une vie intense à ces… danses. Mais une vie, éventuellement bondissante, qui ne porte pas ombrage à l’expression spirituelle, à ce hiératisme indispensable.C’est cette alliance d’apparents contraires, de la légèreté et de la profondeur (n’est ce pas cela le gothique rayonnant?), que réussit admirablement Alain Meunier. Avec un archet aérien qu’on ne peut qualifier que de magique, tant il caractérise chaque pièce avec naturel, conjuguant la danse et la poésie dans la plus douce lumière que distille son superbe instrument milanais de1721.

H.P.

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