La Bourgogne selon Pierre-Henry Gagey (Le Figaro.fr)

Visionnaire, le président de la holding de Louis Jadot a su donner un nouveau souffle à la maison de Beaune.


Comment découvrir la Bourgogne  ? « La meilleure façon est d’arriver en voiture, par la route du sud, la D974 par exemple, pour longer les rives du canal. D’un coup, on passe des champs aux vignes de blanc de Puligny, puis tous les villages s’égrènent en chapelet, c’est superbe », explique Pierre-Henry Gagey. Conseil suivi et validé. Nous finissons par arriver à Beaune, à la cuverie Louis Jadot. Le grand bâtiment ne manque pas de grâce, ce pourrait être un monastère. Gagey y a fait installer une boutique « car ne pas vendre directement au domaine, quand beaucoup le font, était devenu arrogant », dit-il.

Aujourd’hui, Louis Jadot – 8 millions de bouteilles produites et un chiffre d’affaires de 76 millions d’euros – offre une gamme large qui compte des appellations régionales et village, des premiers et grands crus : « Je suis opposé à une vision élitiste de la Bourgogne. Je défends une région humaine, capable de produire des vins entre 12 euros et 15 euros la bouteille. D’un point de vue commercial, les petites cuvées poussent les grandes et ces dernières tirent les petites. C’est le secret de la réussite bourguignonne. Il y a 130 ans, les vignerons du coin ont eu un coup de génie : ils ont accolé au nom des villages ceux de leur meilleur vin. Le village de Gevrey est devenu Gevrey-Chambertin, Chambolle est devenu Chambolle-Musigny, Vosne est devenu Vosne-Romanée… Le meilleur vin a donné un peu de lui-même au village qui en a profité. C’est sacrement astucieux. Dès le départ, chacun savait que les très grands vins ne seraient pas accessibles à tous, pour des raisons de quantité. »

Un pied dans l’histoire, l’autre dans l’avenir, un œil sur sa région, l’autre sur le monde, l’ingénieur-businessman « made in HEC » a fait de Jadot, vieux négociant de Beaune, une référence mondiale. Mais ce n’est pas lui qui le dit. Il a mieux à raconter. Il explique que Louis Jadot se concentre sur « ces lieux qui ont un sens ». Devant sa carte en relief où une myriade de petites diodes rouges symbolisent les vignes de la maison, Gagey évoque « Santenay, Chassagne, Puligny où nous avons plein de trucs, Meursault où nous faisons un tas de choses aussi, Pommard, Beaune avec le Clos des Ursules, notre vigne historique, Savigny, Pernand… Tout ça ce sont de petits morceaux. Et nous arrivons à Nuits où nous avons des Boudots, et puis le Clos Vougeot bien sûr, Chambolle avec Les Amoureuses. Et Gevrey, et Marsennay… »

En tout, ce sont plus de 100 parcelles, qui représentent plus de 200 hectares de vignes. Un empire viticole materné par des équipes de vignerons qui connaissent ces bouts de terre comme leur poche. Au moment des vendanges, le raisin de chaque parcelle aura droit à sa propre cuve, puis à sa propre barrique au moment du vieillissement et de l’élevage.

« De bonnes ondes  »

Jadot, ce sont trois familles : les Jadot, qui ont lancé la maison, la famille Kopf – importateur de Jadot aux USA –, qui l’acheta en 1985, et les Gagey, qui dirigent la société depuis longtemps, le trait d’union entre les deux premières familles.

Pierre-Henry Gagey et son épouse Pascale habitent au centre de Beaune, dans le couvent des Jacobins, un bâtiment du XVe siècle déconsacré à la Révolution. « Ces lieux donnent de bonnes ondes. » Lui passe son temps à allumer les lumières, elle les éteint. La vie semble douce. Pierre-Henry Gagey, comme son fils Thibault – désormais bien installé aux affaires – ne se laissent pourtant pas bercer par les succès récents de la région. « Quelques nuages noirs planent sur la Bourgogne : l’augmentation des taxes douanières aux États-Unis, les conséquences du Brexit, les événements récents à Hongkong… Il s’agit de rester vigilant. »

La famille ne s’affole pas pour autant et préfère évoquer son nouveau domaine, en Oregon. » Un jour, un broker m’a fait une offre d’une vigne bio non greffée en Oregon, en appellation yamhill-carlton. Nous l’avons achetée en 2013. Nous avons vinifié chez le voisin pendant cinq ans avant de construire notre propre cuverie. La famille Drouhin, déjà installée sur place depuis longtemps, nous a beaucoup aidés. Nous disposons aujourd’hui de 40 hectares plantés. »

L’ex-associé du cabinet d’avocats de Jean-Louis Borloo ne manque pas d’énergie. Ce bibliophile continue d’écrire l’histoire de la maison. Son épouse, Pascale, est une relieuse hors pair. Aucune raison de s’inquiéter.